Répète. Rapporte.

par David Katane

Je suis fasciné par la répétition. Je ne suis probablement pas le seul. Prières et sacrifices pour le retour du soleil. Compulsion de répétition de ce qui est bon. Encore. Encore du sexe. Encore de l’alcool. Encore du sucre. Encore du gras. Encore de l’art. Encore parler. Encore de ce qui me fait du bien. Encore. Répéter. Encore et encore. Jusqu’à la mort. Répéter jusqu’à la mort pour prolonger la vie. Near death experience : bientôt une offre d’expérience Airbnb ? Tout ce qui est bon fera forcément l’expérience de la répétition.

Et puis, il y a les répétitions obligées. La reproduction de la force de travail. Dormir. Pisser. Manger. Se laver. Vider le lave-linge. Remplir le lave-linge. Et le lave-vaisselle. Répéter les règles aux gosses. Répétitions triviales, grossières, pénibles. Sueurs d’Adam et de Sisyphe. Refaire le même pour prolonger la vie, aussi, mais sans plaisir. Stoïquement. Parce qu’il faut. Parce que c’est comme ça. Parce qu’on doit vivre et ne pas se tuer. Tes parents en ont chié pour te donner la vie et t’éduquer, alors tu as interdiction de détruire tout ça. Tu dois vivre. Tu dois répéter. Reproduire. Te reproduire. Tes gènes l’exigent. Tes parents l’exigent. Ton pays l’exige. Encore.

Il y a aussi le répéter de la scène. Théâtre, danse, musique. Répéter. Encore et encore. Pour le plaisir. Pour la beauté. Pour être prêt. Répétition générale avant la première. Quand je remplis le lave-vaisselle, quand j’ai appris à le remplir si bien pendant des décennies, j’aimerais aussi qu’un jour, il y ait une première. Devant le monde entier. Voyez l’art du lave-vaisselle, perfectionné pendant des années. Admirez. La répétition du quotidien arrachée à la vanité. Il faut imaginer le ménager heureux.

Et puis, ça revient. Encore et encore. Le matin. Soi-même. Le cauchemar. Le souvenir. L’ambition. La passion. Tout ce qui est important revient. La pulsion est en toi comme elle parcourt le monde. Rythmes. Jours. Nuits. Faim. Mois. Saisons. Fruits. Baise. Froid. Poires. Maladie. Mort. Bébé. Lait. Jours. Nuits. Je pourrais danser ces rythmes comiques et cosmiques en un ballet-balayé qui montrerait la vérité des vies répétées.

Mais tout ça est faux, n’est-ce pas ? Car rien ne se répète, n’est-ce pas ? Alors que le cercle est sur le point de se refermer, voilà qu’un grain de poussière, un peu d’énergie en plus ou en moins, voilà que le temps lui-même se met à faire du quasi cercle une spirale, une courbe, une vrille, un angle droit. Toute la topologie de la non-répétition. Ça se met à ne pas être le même. Ce n’est même jamais le même. Mince alors. Me serais-je trompé, en perfectionnant l’art du lave-vaisselle ? Est-ce qu’il n’y aurait jamais deux vaisselles identiques ? Est-ce que mon lave-vaisselle est le fleuve dans lequel on ne baigne jamais deux fois la même assiette ? Est-ce que l’assiette reste jamais la même assiette ?

Entre la folie du même universel, et la folie du changement permanent, nous tentons l’équilibre. Stabiliser et varier. Répéter un peu différemment. User. Usure. Usurier. Faire de l’usure un bénéfice. Miser sur la mort. Que la mort rapporte. Allez, rapporte.

Répéter. Faire de la mort un chien qui vous rapporte la pantoufle, le journal. Votre vie.